Telle une voix claire qui perce le silence... Une prière muette s'élève dans l'obscurité. Les branchages frémissent, un souffle parcourt les airs, des pas se rapprochent.
L'ombre se tapit parmi les ombres, recule et retient son souffle. Elle ferme les yeux et attend. Son coeur tressaute dans sa poitrine, et son corps tout entier se prépare à bondir dès que le moment sera propice.
« Et si même vous ne me croyez pas... Qui donc m'écoutera ? » énonce-t-elle lentement, le reproche se lisant dans son regard.
La femme assise en face d'elle lève doucement les yeux vers la jeune fille et lui sourit.
« Je te crois. Et je ressens cela, moi aussi... Mais, quand bien même ce serait le cas. Que pouvons-nous faire ? Que peux-tu faire, toi ? »
La jeune fille croise les bras et affiche une moue boudeuse. L'homme qui se tenait plus loin se rapproche et renchérit calmement :
« San tîr... L'ombre de l'est grandit, assurément. Mais le pouvoir de notre peuple, lui, décline... Tu es encore jeune, Aerelloth. » Il pose sa main sur son épaule. En prononçant ces mots, son regard se voile au souvenir d'une époque révolue. Il soupire, puis continue :
« Si ce que tu dis est vrai, nous ne pourrons pas éloigner ce danger. Tu parles d'une menace dont tu n'as pas idée... Si notre avenir nous amène à quitter le Lindon, c'est vers l'ouest qu'il nous conduira, et non à l'est. »
Aerelloth baisse les yeux : « Amman ? Je ne demande pas de lever une armée ! Tout ce que je propose, c'est d'envoyer un messager à Imladris : le seigneur Elrond est sage... Il connaît sans doute un moyen d'empêcher que le pire se produise !... »
« Et, lui au moins prêterait sûrement attention à ce que j'ai à dire », ajoute-t-elle à l'intention de sa mère qui a repris sa lecture pour couper court à la conversation. Son père semble contenir un certain agacement.
« Cesse donc de te préoccuper de cela, et de tracasser tout le monde ! Je sais que tu es allée parler à Cirdan. Que t'a-t-il dit ? »
Aerelloth tente de répliquer mais il ne la laisse pas répondre.
« Il t'a dit de ne pas t'inquiéter, n'est-ce pas. C'est pour cela que tu veux t'adresser à Elrond à présent. Ils ont suffisamment à faire sans que tu les déranges... »
Il s'assoit à côté de sa femme et regarde dans les yeux sa fille qui le fixe toujours avec un air de défi. Il sourit à sa femme d'un air entendu et ajoute :
« De toute façon, les messagers ont d'autres priorités eux aussi ! Alors à moins que tu ne te rendes toi-même à Imladris... »
Sa mère sourit, amusée, et prend la main de son mari dans la sienne, tandis qu'Aerelloth quitte la pièce, le regard noir.
Une silhouette fend les nuées et descend vers la plaine en piqué. Elle s'approche d'une zone dégagée, hormis quelques taillis, où est rassemblée une troupe de soldats revêtus de cuirasses de métal noir et armés de lames grossières. Des Orques. Ils semblent rechercher quelque chose et se diriger vers un des bosquets le long de la route. L'ombre surplombe la horde en contrebas, qui n'a rien vu venir. Elle pousse un cri de défi depuis les airs.
La jeune Elfe est abîmée dans la contemplation de cartes anciennes lorsque son père la rejoint dans la bibliothèque. Son regard s'est radouci.
« Excuse-moi. Je ne t'ai pas fait suffisamment confiance, je le reconnais. Comprends-nous, aussi ! Cela fait des jours que tu t'obstines à rechercher le moyen d'écrire à Imladris, ou de t'y rendre, ou de rencontrer Elrond - tout cela pour lui parler d'un danger, s'il s'avère fondé, dont il serait évidemment déjà averti. Mais j'ai le sentiment que c'est très important pour toi... alors, si tu y tiens. Je demanderai à Cirdan d'envoyer pour toi un message à Imladris. » Il sourit. « Peut-être même pourra-t-il s'en occuper avant la fin de l'année ! »
Aerelloth hausse les sourcils. « Ah... Dans un an... » Elle se reprend et adresse à son père un sourire forcé. « Merci. Le hannon, Ada », dit-elle en s'inclinant.
Dès qu'il a quitté la pièce, elle plie la carte qu'elle avait entre les mains et la fourre dans un large sac en toile.
Le chef des Orques s'est arrêté. Il lui a semblé avoir senti une présence, quelque part dans les buissons. Il s'apprête à lancer des ordres à ses acolytes, quand son attention est attirée par un piaillement strident. Il lève la tête et aperçoit un minuscule volatile, une boule de plume colorées qui s'égosille au-dessus d'eux. Un ou deux rires gutturaux fusent dans les rangs. Le chef, contrarié d'avoir été ralenti par une nichée d'oiseaux, pousse un grognement pour indiquer à ses troupes de reprendre la marche et d'accélérer.
Du fourré à quelques pieds de là s'échappe un léger soupir de soulagement tandis que la troupe s'éloigne. Aerelloth ouvre grand ses yeux d'azur et risque un regard hors du buisson, pour constater qu'elle est hors de danger. L'oiseau coloré vient se poser tranquillement sur son épaule et gazouille joyeusement, fier de son exploit.