La vague vint se briser avec fracas contre le rocher sombre, le recouvrant d'écume argentée dans un grand bruit d'éclaboussure, puis l'eau recula lentement à nouveau, comme à regret. Plus loin, l'eau baigna les pieds de la silhouette qui se tenait au bord de l'océan, immobile. Lorsqu'après un long moment, elle soupira et reprit lentement sa marche au bord des flots, ils n'avaient pas laissé d'empreintes dans le sable.
Elle s'assit sur un rocher lisse, croisant les bras autour de ses genoux et fixant l'horizon. Le vent soufflait doucement dans ses cheveux et Soleil brillait d'un éclat apaisant, pourtant rien ne semblait pouvoir égayer son regard désolé. Elle aimait venir ici, peut-être parce que cette immense étendue d'eau salée lui rappelait ses propres larmes, lui donnant l'impression que la nature partageait sa douleur. Elle finirait par franchir l'océan, lasse de sa longue vie et privée de toute joie, désormais. Mais elle s'attardait encore ici, sur les terres qu'elle avait aimées, jusqu'à ce que son âme ne puisse plus supporter son désespoir et la porte vers les Terres Immortelles.
« Maman ! » Une voix perça au loin, elle se rapprochait. « Maman ! » Elle se retourna lentement et posa son regard sur le jeune garçon qui arrivait en courant. Elle passa rapidement la main sur ses paupières pour essuyer ses larmes, et lui adressa un sourire triste. Il arriva près d'elle et la serra dans ses bras.
« Je t'ai trouvée, Maman !
- Oui... » Elle le serra fort contre elle, sans rien ajouter. Puis le jeune garçon se dégagea de son étreinte et la regarda dans les yeux en lui demandant : « Dis, c'est quoi une guerre ? »
Un éclair de surprise passa dans les yeux éteints.
« Une guerre ? Mais où as-tu entendu parler de ça ?
- C'est moi qui l'ai lu tout seul ! répondit-il avec fierté. Tu as reçu un message, alors je te l'ai apporté », fit-il en sortant une lettre d'une petite besace en lin.
Elle prit la lettre et son regard se durcit alors qu'elle en parcourait les premières lignes. Son fils, quant à lui, tenait à lui faire remarquer qu'il connaissait suffisamment ses tengwar pour l'avoir déjà lue.
« C'est de grand-père et grand-mère, ils disent qu'ils vont chercher des amis pour faire une guerre avec les Baleines et qu'ils doivent retrouver un bijoutier qui habite au Mordor. »
Elle lui sourit douloureusement, ayant bien compris de quoi il était question mais amusée par l'interprétation de son fils.
« C'est toi qui a lu ça comme un grand ? Tu fais des progrès... »
- Hé oui ! » Il sourit fièrement. Elle lui caressa les cheveux, en réfléchissant au sens des lignes qu'elle venait de lire. Les Orques de Sauron se multipliaient en Terre du Milieu... Et une alliance entre le roi des Elfes et celui des Hommes venait d'être conclue. Sa mère connaissait les arguments qui la feraient plier, comme toujours... Elle lui demandait de se mettre au service d'une noble cause, « pour une fois », et la priait de bien vouloir également oublier les griefs qu'elle avait à son égard. Elle froissa le parchemin entre ses doigts sans s'en apercevoir.
« Et puis grand-mère dit qu'on devrait retourner chez eux, elle a raison non ? Comme ça on pourrait faire des cabanes dans les arbres...
- Désolée, mais je ne crois pas, non. S'il y a une personne que je ne veux pas voir en ce moment, c'est bien elle...
- Oh... »
Le jeune garçon s'éloigna, l'air déçu, et commença à dessiner dans le sable avec une branche de bois flotté.
Quant à elle, elle ne comprenait pas... Elle ne comprenait pas comment sa mère pouvait oser lui envoyer un tel message comme si de rien n'était, après ce qu'elle venait d'apprendre. Peut-être que si c'était son père qui lui avait écrit, elle aurait réfléchi un peu plus longtemps et accepté de rejoindre les siens dans leur combat contre l'Ombre... Elle ne se sentait plus la volonté de combattre ni pour elle, ni pour les Peuples Libres, et il ne lui restait plus qu'à prendre la mer avec son fils, emportant son chagrin comme seul souvenir de ces terres.
Elle se retourna vers son fils et lui sourit.
« Tu sais... Bientôt, nous voguerons vers Valinor, et à ce moment-là, nous serons loin de la guerre, et tu ne regretteras pas les arbres dorés, tu verras...
- Mmm... fit le garçon d'un air pas tout à fait convaincu. Mais moi, j'aime bien ici aussi, avec la mer et les bateaux. » Il porta la main au-dessus de ses yeux et observa l'horizon. « Quand on sera à Valinor, on pourra toujours revenir ici, ou aller faire des cabanes chez grand-mère et grand-père de temps en temps ! »
Elle le regardait parler sans l'interrompre, avec un air attendri mais profondément triste, puisque la présence de son fils lui rappelait à chaque instant l'absence qui déchirait son coeur.
« Tu crois que papa viendra nous rejoindre pour qu'on fasse la traversée tous ensemble ? »
Elle baissa le regard devant l'innocence du jeune garçon, puis lui répondit d'une voix faible, mais empreinte d'une grande douceur :
« Non... Il ne viendra plus désormais... Il a rejoint les cavernes de Mandos... Il ne reviendra... plus... »
Son fils ressentait toute sa détresse, même s'il ne comprenait pas encore, et se retint de demander des précisions sur ce Mandos qui creusait des tunnels. Il l'enserra dans ses bras pour tenter de faire renaître un sourire sur son beau visage aux yeux baignées de larmes, sans rien dire. Elle fixait à nouveau la ligne de l'horizon, où les vagues, au loin, se mêlaient au bleu du ciel... Le ciel si bleu...