Cela faisait déjà plusieurs heures qu’elle errait dans le labyrinthe de ces marécages déserts. Le soleil avait depuis longtemps disparu derrière les collines indistinctes au loin. Elle marchait, marchait toujours. Le bruit de ses pas rythmait le temps qui passait dans les marais, silencieux à l’exception du chant lugubre de quelques insectes invisibles. Elle ne savait pas où elle était, et elle voulait rentrer ; elle avait froid. Et puis, elle était déjà passée par là, ou alors les chemins bordés de mares incertaines se ressemblaient tous. La nuit était sombre, et sans lune. Elle hésitait, mais quelque chose la mettait en garde contre l’idée de simplement s’asseoir et attendre l’aube. Elle scruta l’horizon obscur et crut discerner une lueur au loin. Elle avança dans cette direction, en prenant soin de ne pas trébucher dans les eaux traîtres. Elle accéléra : c’est le soleil qui semblait émerger à nouveau, et briller dans le ciel d’une aura de feu.
« Anah ! » Elle prit soudain conscience de la silhouette qui se rapprochait d’elle. Lorsqu’elle reconnut le guerrier aux cheveux noirs, un large sourire illumina son visage. Il l’avait retrouvée ! Ça y est, il allait la sortir de là et la ramener chez elle. Le ciel était clair à présent, du moins dans la direction qu’il lui indiquait. Elle courait maintenant, ne prêtant plus attention au sol sous ses pas.
D’un coup, un violent coup de tonnerre retentit derrière elle. Elle se retourna, et ne vit rien si ce n’est le ciel d’un noir de jais.
« Anah ? Tout va bien ? » Elle fronça les sourcils. Le timbre de la voix avait changé... « Will ? C’est toi ? »
« Bien sûr, c’est moi. Il n’y a personne... Qui veux-tu que ce soit ? »
Il la regardait, l’air étonné, juste à côté d’elle. Will ? Mais pourtant, elle était certaine d’avoir reconnu...
« Will, je suis perdue... » Il se rapprocha et la serra dans ses bras. « Ne t’en fais pas... Je suis là... » Elle était soulagée d’être à ses côtés, mais une terreur sourde s’insinuait en elle. Elle avait l’impression d’avoir oublié quelque chose, quelque chose de capital...
Il caressa doucement sa joue. « Tu es prête ? Nous devons aller à Archet. » Elle tourna les yeux vers le lever de soleil, mais il la prit par la main et l’emmena dans la direction qu’il désignait, là où le ciel s’obscurcissait. Au loin s’élevait une fumée grise qui contrastait avec la noirceur de l’horizon. Tandis qu’ils marchaient, elle se souvint : sa dague. Elle avait oublié sa dague, c’est pour ça qu’il fallait la chercher à Archet. Mais elle n’était pas rassurée, et l’orage menaçait. Elle serra sa main dans la sienne.
Un nouveau coup de tonnerre retentit, accompagné d’un éclair aveuglant qui déchira le ciel, et d’une rafale glacée qui souffla droit vers elle. Une tempête se levait. Elle lâcha sa main pour se protéger les yeux de la bourrasque. Elle les rouvrit lorsque le vent se calma... « Will ? » Elle ne le voyait plus. Elle regarda autour d’elle, affolée. Le vent s’était arrêté d’un coup. Il était introuvable, et surtout, elle savait qu’elle ne le trouverait pas. Un silence de mort était tombé sur le marais rouge, que les ténèbres avaient à nouveau envahi. Elle tourna dans tous les sens et ne voyait plus le soleil de l’instant précédent, alors elle se mit à courir, peut importait la direction. « Will ! » Elle sentait la tourbe s’enfoncer sous ses pieds, et devinait les étendues pourpres autour d’elle. « WILL ! » Soudain, son pied heurta quelque chose de dur au sol, et elle perdit l’équilibre.
Elle se redressa d’un coup, les yeux hagards, et le souffle court. « Will... » murmura-t-elle alors qu’elle comprenait où elle se trouvait. Elle replia ses jambes, et remonta la couverture sur sa poitrine. Elle tâchait de respirer amplement pour se calmer, mais elle était trempée de sueur et sa peau était glacée, malgré la chaleur qui régnait dans ces terres désertiques. Elle balaya le hall du regard et regarda un moment ses compagnons, qui dormaient paisiblement à côté d’elle, ou demeuraient immobiles près d’un feu aux flammes mouvantes. Anah poussa un long soupir et se rallongea lentement, avant de s’enfouir sous la couverture. Et tandis qu’à la lueur du feu, elle gardait les yeux fixés sur la pierre violette qui brillait doucement à son doigt, une larme scintilla le long de sa joue.